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Enjeux idéologiques modernes et monde grec (II) – Le Romantisme

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L’Histoire d’une nation comme la nôtre est traversée par divers courants, chaque génération nouvelle se pensant vouée à refaire le monde. Le mouvement de la Renaissance venait de traverser l’Europe : un attrait pour l’Antiquité poussé à l’idolâtrie.

Bien au-delà de la connaissance préexistante de ces temps anciens – les bibliothèques du Moyen Âge à l’image de celle d’Isidore de Séville, celle du Palais des Papes d’Avignon en témoignent –, on voulut en tout point s’adonner à l’imitation des classiques. Par cette loi du mimétisme, toute la sphère socio-culturelle fut touchée, y compris l’institution par le retour du droit romain.1 La Révolution s’inscrivit, nous l’avons-vu, dans la continuité de cet amour pour les sociétés antiques : elle en est l’aboutissement inconcevable.

Le mouvement intellectuel lui succédant n’est autre que le Romantisme. Rousseau, Lumière solitaire, l’avait esquissé. Mais alors, il semblait nous parvenir d’Europe du Nord, être né sous « occupation » napoléonienne, en bref être un produit « des fourgons de l’étranger ». Cela marqua les contemporains, au point qu’un certain nombre affirma qu’il fut « un assaut de la Sainte-Alliance contre le goût national » (Journal Le Constitutionnel). Quelle est donc la matrice idéologique de l’épisode romantique ?

I. Une réaction contre la rigueur des Lumières

Le terme romantique, né sur l’île britannique en 1650, renvoie à la langue romane que l’on opposait à la langue latine. Dès cet époque l’idée de médiéval, de fabuleux, de chevaleresque était présente en ce mot. Il prit par la suite le simple sens de « pictural », avant de retrouver son sens initial à l’époque qui nous intéresse. Il s’oppose profondément au rationalisme des Lumières, affirmant la suprématie de la déesse Raison.

Bien que l’Antigone de Sophocle fut traduite et l’Antiquité une source littéraire encore usitée, on refusa celle-ci comme repère de toute chose. Confrontés à la rigueur classique de leurs aïeux, les Romantiques défendirent le libre cours à leurs sentiments, la sensibilité face à la raison, l’érotisme et le pathos, exaltèrent le « moi » (autobiographies) et le génie mystérieux de l’artiste. On préféra Shakespeare à Racine. Le brio de cette génération, composée de Michelet, Mérimée, Berlioz, et Géricault fut incontestable. Le Siècle français porte en lui la fierté de ces talents.

Les contraintes artistiques leur parurent d’un monde médiocre et dépassé. Ils rejetèrent tout autant la règle des trois unités, la musique aux concertos stéréotypés et les statues sans vie. Hugo préfaça Cromwell en ces propositions sans équivoque possible : «  Et voyons qui imiter ? – Les Anciens. Nous venons de prouver que leur théâtre n’a aucune coïncidence avec le notre. »

Ils redonnèrent le prestige mérité aux prétendues « barbaries » gothiques et baroques. En effet, le Romantisme investit aussi l’Histoire : ce fut la réhabilitation de la féodalité, des châteaux-forts. Ils avaient un goût irrassasiable pour les récits historiques, de Crownwell de Victor Hugo à Lorenzaccio d’Alfred de Musset. On idéalisa les vestiges « des siècles chrétiens » que l’on avait mis par terre moins d’un siècle plus tôt.

Charles Nodier poussa cet amour jusqu’à la mélancolie, dans un ouvrage illustré :

« Les monuments de l’ancienne France ont un caractère et un intérêt particulier ; ils appartiennent à un ordre d’idées et de sentiments éminemment nationaux, et qui cependant ne se renouvelleront plus. Ils révèlent dans leurs ruines les ruines plus vastes, plus effrayantes de la pensée, celles des institutions qui appuyèrent longtemps la monarchie, et dont la chute fut le signal inévitable de sa chute […]. À leur vue, tous les souvenirs des jours écoulés se réveillent ; les siècles entiers avec leurs mœurs, leurs croyances, leurs révolutions, la gloire des grands rois et des grands capitaines semblent apparaître dans ces solitudes. »2

La nostalgie patente prit sa source d’un mal-être infernal – un « mal du siècle » –, d’un rejet d’une société routinière, individualiste et bien trop amère pour ravir une jeunesse « sans guide. »3 De là advint un refus unitaire du temps qui passe, trop vite. À ce sujet La Confessions d’un enfant du siècle de Musset présentait un monde où règnent les « cuistres de toute espèce », les élites dépassées. C’est à cette époque, que le Père-Lachaise fut érigé, que le Radeau de la Méduse s’ échoua.

Portrait de Chateaubriand, par Anne-Louis Girodet.

Portrait de Chateaubriand, par Anne-Louis Girodet.

En outre, qui furent vraiment les romantiques ? L’encre monarchiste et pieuse de Lamartine apparut dans Méditations poétiques, Chateaubriand, ayant vu son frère décapité par la Révolution criminelle, couvrit d’éloge Le Génie du christianisme. Ce dernier critiqua tout autant la cruauté, le despotisme et l’ambition de Napoléon Ier dans Mémoires d’outre-tombe, l’imposition de la liberté à coups de canon, même s’il rendit hommage à son génie en matière civile. Cependant, après d’autres lectures, il y a peu de continuité politique entre les Romantiques : s’ajoutent Stendhal vantant la Vie de Napoléon et Hugo farouchement Républicain.

Mais, qu’on l’accepte ou non, il y’ a bien une entreprise réactionnaire – au sens noble du terme – dans le mouvement romantique, fruit d’une génération qui a osé dire « non ». Balzac prétendait dans Illusions perdues : « les royalistes sont romantiques, les libéraux sont classiques ». Est-ce vrai en définitive ?

II. Les rêves des romantiques

On ne saurait dire, au regard de l’ensemble du mouvement romantique, qu’il s’agît d’une entreprise d’esprit « Contre-Lumières » rejetant 1789. Les adeptes ne considérèrent la Révolution ni comme un châtiment divin, ni comme un accident, mais comme un produit naturel de l’Histoire. Les grands romantiques les plus proches de nous se réclamèrent d’une ère manquée, celle de 1789, restèrent à jamais angoissés par la Terreur rationaliste de 1793. Parfois aussi des « révolutions manquées » lors de la Restauration, comme on le lit dans Lorenzaccio, convoquant pour ce faire la Florence des Médicis. C’est bien ce que l’on retient aujourd’hui des Romantiques, de ceux qui redorèrent le prestige de l’Histoire que les Robespierristes voulurent effacer d’un revers de main, comme l’infligeront « les démocraties populaires » au XXe siècle à l’autre Europe.4

Le Républicain Hugo alla jusqu’à affirmer que Paris était « la capitale de la civilisation » car elle fut le berceau de la Révolution. Après tout : « Rome a plus de majesté, Trèves a plus d’ancienneté, Venise a plus de beauté, Naples a plus de de grâce, Londres a plus de richesse. Qu’a donc Paris ? _ La Révolution. […] Athènes a bâti le Parthénon, Paris a détruit la Bastille. » (Actes et paroles, 1875-1885).

Nourris d’un passé grandiose, mais bien court, les Romantiques aspiraient à une liberté nouvelle. La liberté artistique proclamée relevait tout simplement de l’expression du libéralisme en littérature. Delacroix interpella le novice : « Jeune artiste, tu attends un sujet ? Tout est sujet : le sujet c’est toi-même, ce sont tes expressions, tes émotions devant la nature. C’est en toi et non autour de toi qu’il faut regarder ». Un laissez-passez aux utopies, un refus des barrières, un refus de l’impossible.

Leur idéal émancipateur qui a traversé les siècles fut celui d’une méritocratie humaine, d’un parangon de justice, d’une République à portée universelle, d’une Europe paisible. Il s’agissait pour eux de mettre en place une sorte de catéchisme social, Jésus perçu comme le premier des socialistes. Ce fut le temps d’un socialisme utopique – que l’on oppose traditionnellement au socialisme scientifique. Fourrier développa ses phalanstères, petites coopératives ouvrières libertaires défiant le modèle capitaliste. Les mutuelles de Proudhon, l’idéal égalitaire sans propriété de Saint-Simon, les ateliers nationaux de Louis Blanc… tout cela était typique d’une même époque, d’un même envoûtement.

Heureux comme Ulysse, les doux rêveurs vécurent d’expéditions à travers le monde, à l’image de Chateaubriand ayant observé les Iroquois en Amérique. Ils découvrirent des terres non-chrétiennes, des terres à cultiver (à tous les sens du mot). Il fallait pour certains « éduquer » les peuples « arriérés » et leur faire goûter le progrès de la civilisation. Ils voulurent du lointain, portèrent leurs yeux sur la planète, jusqu’à l’Orient mystérieux. C’est ainsi que commença l’aventure française en Algérie, terre ensoleillée foyer de toutes les espérances. Espoirs, déçus par le massacre de la rue Transnonain orchestré par l’âme noire de Bugeaud.

Ce fut tout cet esprit qui se déploya lors de la Révolution de 1848, inféodé au drapeau tricolore ayant « fait le tour du monde avec le nom la gloire et la liberté de la patrie » (Lamartine). Ce fut l’euphorie d’un printemps, où l’on planta un arbre de la liberté. Les crédits gratuits, les revendications sociales : le mot d’ordre fut de penser la liberté, l’égalité et la fraternité de manière conjointe.

Lamartine perdit sèchement les élections. Le neveu de l’Empereur l’emporta à hauteur des trois quarts des suffrages. Mais l’auteur de L’Extinction du paupérisme, Saint-Simonien dans une certaine mesure, fut bien le fruit de cette génération ayant pour ambition de nourrir les ouvriers, d’étendre le modèle politique de la nation, de briller à l’international. Seuls le grand Hugo et Louis Blanc le boudèrent en définitive, le jugeant trop autoritaire, même après la proclamation de l’Empire libéral.

III. Le nationalisme romantique

Victor Hugo.

Victor Hugo.

Le Romantisme fut aussi l’engagement politique. Un soutien se manifesta sous les plumes romantiques aux nationalismes, aux nations opprimées parvenues à maturation. Premier projet d’État-nation en Europe Orientale, la Grèce acquiert l’indépendance en 1830, portée par la Révolution française. Hugo se fit son porte-parole dans les années 1860 : l’École Athénienne se fonda sur la base du romantisme, s’opposant à certaines Lumières grecques. Hugo vitupéra contre la présence Turque en Grèce, empêchant à celle-ci d’être elle-même. Dans la même veine, le peintre Delacroix peignit les massacres de Scio orchestrés par les Turcs, souvenir douloureux. Les romantiques exaltèrent avec emphase la mémoire de la Grèce qui a tant inspiré l’Europe et l’encouragèrent à trouver sa voie dans sa quête d’identité.

On se souvient alors de la colère passée de Chateaubriand :

« Quand l’Europe se réveille de la barbarie , son premier cri est pour Athènes. « Qu’est-elle devenue ? » demande-t-on de toutes parts. Et quand on apprend que ses ruines existent encore, on y court comme si l’on avait retrouvé les cendres d’une mère. […] Les monuments grecs modernes ressemblent à la langue corrompue qu’on parle aujourd’hui à Sparte et à Athènes, on a beau soutenir que c’est la langue d’Homère et Platon, un mélange de mots grossiers et de constructions étrangères trahit à tous moments les Barbares… J’allais quitter pour jamais cette terre sacrée : l’esprit rempli de sa grandeur passée et de son abaissement actuel, je me retraçais le tableau qui venait d’affliger à mes yeux » 5

L’inspiration romantique se poursuivit avec Napoléon III. Emporté par la vague romantique ayant bercée son enfance, il soutint de son côté le nationalisme en Roumanie, l’Italie unifiée, tout en assurant la place du pape à Rome au grand désespoir de Hugo. Il se prononça en faveur de la Pologne opprimée, et idéalisa profondément un royaume arabe en Algérie.

Anthony La Rocca

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Bibliographie

  • DENIZEAU Gérard, Panorama des grands courants artistiques, Paris, Larousse, 2013, 255p.
  • DIECKHOFF Alain et KASTORIANO Riva, Nationalismes en mutation en Méditerranée Orientale, Paris, CNRS, Collection Moyen-Orient, 2002, 288 p.
  • MARSEILLE Jacques, Nouvelle histoire de France, Tome II, Paris, Perrin, 1999, 508p.
  • VIARD Bruno, Les 100 mots du romantisme, Paris, Puf, 2010, 128p.

1 À ce propos, nous vous conseillons l’ouvrage ci-contre : PERNOUD Régine, Pour en finir avec le Moyen Âge, Paris, Edition du Seuil, 1977, 160p.

2 DE CAILLEUX Alphonse, NODIER Charles, TAYLOR Isidore, Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, 24 vol. œuvre inachevée.

3 Expression attribuée au peintre Géricault.

4 Collectif, dont COUTOIS Stéphane, Le livre noir du communisme, Paris, Robert Laffont, 1997, 923p.

5 CHATEAUBRIAND François-René, Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris , Paris, Folio (2 juin 2005), 1861, 736p.


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